Crocodiles, serpents et tortues
Les reptiles
Si l’on s’en tient à la classification actuelle (Lecointre & Le Guyader, 2001), l’ancien groupe des reptiles est éclaté en plusieurs groupes distincts. Si l’on remonte un peu plus haut dans l’arbre, le groupe qui rassemble la totalité de l’ancienne entité « reptiles » se nomme les Sauropsides. L’ennui est que ce complexe regroupe également les oiseaux (figure 1). Même s’ils appartiennent à des lignées différentes, pour plus de commodité, nous conserverons donc l’ancien vocable de « reptiles », compris de tous, qui regroupe des animaux qui sont tous à température variable (ectothermes), au corps souvent allongé et toujours recouvert d'écailles ou de plaques cornées. Ils pondent des œufs à terre, même pour les espèces aquatiques. |
Figure 1. Arbre de la classification phylogénétique des amniotes. Comme on peut le constater les « reptiles » (au sens courant) ne sont pas un groupe cladistique monophylétique, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à des lignées différentes. Par exemple, les crocodiles sont plus proches des oiseaux que les serpents ou de tortues (redessiné d’après Lecointre et Le Guyader, 2001).
Il existe des Reptiles bien adaptés au milieu aquatique, à l’exemple des tortues, des crocodiles et des serpents.
1. Les tortues
En Afrique, il existe plus de vingt espèces de tortues aquatiques qui se répartissent en trois familles. Les unes ont le cou rétractile, les autres non. Cette distinction importante a une importante valeur systématique.
Ces tortues aquatiques, généralement très voraces, ont un régime carnassier, ce qui les différencie des tortues terrestres toutes végétariennes. Un corps et des membres très aplatis ainsi que des palmures réunissant les doigts, leur confèrent une excellente adaptation au milieu aquatique. Ainsi, elles nagent avec facilité, ce qui les distingue encore de leurs cousines terrestres lentes et gauches.
1.1. Les tortues à cou rétractile
En Afrique, trois espèces aquatiques sont habituellement présentes : Trionyx triunguis, Cyclanorbis elegans et C. senegalensis.
T. triunguis ou tortue plate africaine ou tortue molle du Nil est l’unique représentante du genre Trionyx (figure 2). Elle est présente dans tous les grands systèmes fluviatiles africains, de la Mauritanie au nord jusqu’à la Namibie au sud et du Sénégal à l’ouest jusqu’à la Somalie à l’est. Elle existe également en Turquie et au proche orient (Liban, Israël et Syrie). Elle fréquente les fleuves et rivières, mais il est aussi capturé fréquemment en mer. Elle se nourrit principalement de poissons, de crustacés et de mollusques. Elle semble se poster à l’affût puis se jette très rapidement sur sa proie lorsque celle-ci passe à proximité. Mais si l’occasion se présente, cette espèce est également volontiers charognard puisqu’on a pu observer quatre d’entre elles « attabler » autour d’une chèvre morte.
Figure 2. Trionyx triunguis. On note que l’espèce appartient au groupe des tortues à cou rétractile (à gauche : Khartoum, Soudan, © IRD/B. Devaux ; à droite : Sanaga, Cameroun, © IRD/J.-F. Trape).
L’espèce pond, plusieurs fois par an, 25 à 100 œufs blanchâtres et ronds d’un diamètre d’environ 30 mm. L’incubation dure un peu moins de deux mois (expérimentation en laboratoire) et à l’éclosion les nouveaux nés mesurent environ 50 mm.
La tortue trionyx de Geoffroy Saint-Hilaire L’auteur regroupe dans un genre à part toutes les tortues dont le pourtour de la carapace est mou et cartilagineux : il lui donne le nom de trionyx, ou de tortue à trois doigts. « … Elles sont toutes pentadactyles, et n’ont d’ongles qu’aux trois seuls doigts inférieurs, aux pieds de devant, comme à ceux de derrière : ces pieds sont larges ; les doigts distincts et tous susceptibles d’agir séparément, quoique réunis par une membrane. On reconnait encore les trionyx à la longueur du cou, à l’existence d’une petite trompe et de lèvres réelles et mobiles, ainsi qu’à l’ouverture de l’anus qui est située tout à l’extrémité de la queue et le trait le plus remarquable de leur organisation, est non-seulement l’état de mollesse où se trouve le pourtour de leur carapace, mais l’absence totale d’écailles pour la recouvrir ». Trionyx d’Égypte. Gravure originale de Bonvalet, extraite de l'Édition Impériale de la Description de l'Égypte ou Recueil des observations et recherches faites en Égypte pendant l'expédition française, publié par les ordres de Sa Majesté l'Empereur Napoléon le Grand.
Source : Geoffroy Saint-Hilaire, 1809 : Mémoire sur les tortues molles. Nouveau Bulletin du Société Philomatique de Paris, vol. 1, no 22, pp. 363–367 (texte intégral). |
Les Cyclanorbis (figure 3) ne se rencontrent que dans l’hémisphère nord de l’Afrique subsaharienne. On rencontre C. elegans depuis le Ghana jusqu’au Soudan et C. senegalensis depuis le Sénégal jusqu’au Soudan. Contrairement aux Trionyx, l’écologie des espèces de ce genre très peu connue.
Figure 3. Cyclanorbis senegalensis (© G.H.Ford — Proceedings of the Zoological Society of London (vol. 1870, plate XLIII).
1.2. Les tortues à cou non rétractile
En Afrique, il existe trois genres et 18 espèces : Mauremys leprosa, Pelomedusa subrufa, et 16 espèces de Pelusios, dont 8 existent au nord de l’équateur. Elles se répartissent en deux familles, les Pelomedusidae (Pelomedusa et Pelusios) et les Geomydidae (Maumerys)
Les espèces de Pelomedusidae possèdent sur quelques écailles postérieures du bord de la carapace des petits pores par lesquels des glandes spéciales répandent une sécrétion musquée particulièrement répulsive pour des prédateurs potentiels, comme les crocodiles ou certains rapaces.
Pelomedusa subrufa (figure 4) existe du Sénégal à l’ouest jusqu’en Éthiopie et au Soudan à l’est et jusqu’en Afrique du Sud au sud. Elle se trouve également à Madagascar. Plus à l’est, on la trouve en Arabie Saoudite et au Yémen. La tortue casquée (traduction du nom anglais « helmeted turtle »), semi aquatique, fréquente préférentiellement les marais et les trous d’eau plutôt que les grands rivières. Elle est assez rare en zone forestière, mais on peut les trouver depuis les plaines côtières jusqu’à 3 000 mètre d’altitude. Lorsque leur habitat temporaire s’assèche, les Pelomedusa s’enterre dans la vase jusqu’à la saison des pluies suivante. D’ailleurs, on a rapporté qu’en Afrique du Sud, on a pu observer des individus pouvant hiberner hors de l’eau dans le sol mou ou sous de feuilles durant trois mois.
Figure 4. Melomedusa subrufa sortant d'une mare temporaire sur la route de Tsiombe à Beloha, sud de Madagascar (Androy) (© Jjargoud).
La ponte se produit à la fin du printemps ou au début de l’été dans des lieux pouvant parfois se situer à un kilomètre du moindre trou d’eau. La ponte, comportant 15 à 40 œufs, se produit en une seule fois. L’éclosion se produit 75 à 90 jours plus tard. Les nouveaux nés mesurent alors environ 30 mm. Carnassière, l’espèce possède un régime alimentaire très éclectique puisqu’il lui arrive même d’attraper des oiseaux ou des mammifères de petite taille. Elle ne dédaigne pas non plus les charognes, même si son alimentation principale se compose d’organismes aquatiques.
Les Pelusios constituent le genre le plus diversifiés puisqu’on ne décompte pas moins de 16 espèces, dont 8 existent au nord de l’équateur (tableau I) (figure 5).
Tableau I. Distribution géographique des 16 espèces de Pelusios susceptible d’être rencontrées en Afrique. Les 8 espèces en grisé sont hors zone « nord tropicale ».
Pelusios gabonensis (figure 5) : confinée aux forêts tropicales humides où elle fréquente les marécages, les ruisseaux et probablement les rivières plus profondes. Les jeunes préfèrent les eaux calmes tandis que les adultes ont une prédilection pour les eaux courantes. Elle se nourrit d’insectes, de vers, de gastéropodes et de poissons.
Pelusios adansonii (figure 5) : espèce qui se trouve dans les rivières de savane hors des régions forestières. Elle est carnivore et consomme notamment des poissons.
Pelusios castaneus (figure 5) : fréquente la plupart des milieux aquatiques, marais, rivière et lacs. Lorsque le milieu s’assèche, elle peut estiver en s’ensablant dans les rives ou en s’envasant dans le fond de la pièce d’eau. En Afrique de l’Ouest, elle pond 6-18 œufs (20 x 35 mm) entre février et mars. Les nouveaux nés qui éclosent entre juin et juillet mesurent 30-40 mm.
Pelusios chapini : elle semble habiter les ruisseaux, les rivières ou le bord des lacs.
Pelusios williamsi : habite lacs, rivières et marécages.
Pelusios niger (figure 5) : habite les eaux pérennes de savane et a une certaine prédilection pour les fonds mous. Comme les autres Pelusios, P. niger est carnivore et se nourrit d’une large variété de petits animaux aquatiques.
Pelusios cupulatta (figure 5) : récemment décrite (2003), il s’agit d’une espèce de forêt qui étit auparavant confondue avec P. niger. On l’observe dans les milieux fermés : cours d’eaux tranquilles en pleine forêt, zones forestières inondées.
Pelusios carinatus : elle fréquente les rivières et les lacs d’eau noire des forêts denses.
Figure 5. Quelques espèces de Pelusios susceptibles d’être rencontrées en Afrique nord tropicale. Ces espèces font partie des tortues aquatiques dont le cou n’est pas rétractile.
Maumerys leprosa, est beaucoup plus septentrionale puisqu’on la trouve essentiellement en Afrique du Nord (elle est également présente dans la péninsule Ibérique et dans le Roussillon) (figure 6). Plus au sud elle est encore présente dans quelques gueltas de Mauritanie, du Niger et de Lybie. Cette tortue qui a l’habitude de se chauffer en plein soleil plonge à la moindre alerte. Elle estive dans la boue séchée. Surtout carnivore, elle se nourrit d’invertébrés, de têtards et de petits poissons. Il lui arrive également de consommer des plantes et des débris végétaux.
Figure 6. Mauremys leprosa. En Afrique, elle n'est présente que dans les gueltas et les mares de la zone nord-sahélienne et en Afrique du Nord (© David Perez).
Paroles de pêcheurs sénégalais : La tortue In : Adrian Adams-Sow, 1996. Poissons et pêches du fleuve Sénégal, Sénégal Diabé Sow : Autrefois, quand le fleuve battait son plein, il avait d'autres enfants que les poissons. Il y avait des tortues dans le fleuve. Il y avait des Somono, ceux qui connaissaient l'eau et avaient des pouvoirs secrets, qui ne prenaient que des tortues. Demba Traoré : La tortue leele est un poisson qui ne ressemble pas aux autres. Elle a quatre pattes, et son dos est couvert d'une carapace qui ressemble à une calebasse inversée. Elle peut rentrer et faire sortir sa tête. Pour attraper une tortue, on la coince, et quand la tête sort, on y attache une corde et on l'égorge. Après l'avoir égorgée, on la dépouille et on la fait cuire. Autrefois, les gens utilisaient la carapace du dos comme écuelle à savon. On trouvait parfois des carapaces vides. Le kundiine ressemble beaucoup à la tortue leele, mais le leele est plus gros que le kundiine. Mais personne ne mange le kundiine. Les Soninké disent qu'il sent mauvais. On trouve la tortue dans l'eau, et aussi sur la terre sèche. La tortue pond ses œufs dans le sable. Si tu la suis, tu la trouveras sans problème. Elle fait un trou dans le sable pour se cacher, mais on peut l'attraper et l'en sortir. Autrefois, la circoncision se faisait en saison sèche, au moment de la pêche dans les mares. Les circoncis partaient à la pêche au harpon dans les mares de Loccande, ou Basam, ou Maanu. Ils tuaient parfois jusqu'à dix tortues ; en rentrant, ils les faisaient cuire. Les anciens disaient que les garçons incirconcis ne devaient pas manger de tortue, car s'ils en mangeaient, ils souffriraient beaucoup le jour de leur circoncision. N.B. : tous les termes n’ayant pas d’équivalent en français sont soulignés et figurent dans le texte dans la langue du locuteur. |
2. Les crocodiles
Jusque récemment, on considérait qu’il existait trois espèces de crocodiles africains. Mais dans un article récent une équipe de l’Université de Floride (Shirley et al., 2013) a montré qu’il en existait certainement au moins sept, notamment parce que le genre Mecistops serait en réalité composé de plusieurs espèces et non d’une seule en zone forestière (Guinée et Congo). Mais, pour l’heure aucune d’entre elles n’ayant été décrite, nous considérons encore ce genre comme encore monospécifique.
Depuis quelques années les herpétologues estiment que Crocodylus suchus, autrefois considéré comme une sous-espèce de Crocodylus niloticus, pouvait être traité comme une espèce valide ainsi que le démontre les analyses d’ADN de différentes populations (Schmitz et al., 2003). Selon ces auteurs, il existe, en effet, deux clades indépendants de Crocodylus niloticus. Le premier comprend les populations d’Afrique de l’ouest et centrale, et le second l’ensemble les spécimens d’Afrique de l’est, y compris Madagascar. On a conservé le nom de C. niloticus pour les individus d’Afrique orientale et rétabli le nom de C. suchus pour les autres. C. suchus que l’on trouve depuis la Mauritanie jusqu’à la République Centrafricaine est communément appelé crocodile d’Afrique de l’ouest ou crocodile du désert (West African crocodile ou desert crocodile pour les anglophones). C. suchus est plus petit que son cousin C. niloticus puisqu’il ne dépasse que très rarement 4 mètres (Trape et al., 2012). Néanmoins, comme l’écologie des deux espèces est très proche, nous parlerons dans les lignes qui suivent de la seule espèce C. niloticus.
L’espèce la mieux connue, la plus répandue (figure 10)), et la plus grande, est donc le crocodile du Nil, Crocodylus niloticus, dont certains très rares individus pourrait atteindre 6 m (figure 7). Certains récits anciens citent même des individus de 7 mètres, mais il est impossible de le vérifier car aucun squelette ne l’atteste. Plus communément, les grands crocodiles mesurent 5 mètres, mais leur croissance peut être moindre dans les zones plus froides comme en Afrique du Sud, où les spécimens ne dépassent jamais 4 mètres. On connaît également des populations naines (C. suchus), ne dépassant pas 2-3 mètres, qui vivent dans des conditions extrêmes aux confins du Sahara.
Figure 7. Crocodiles du Nil, Parc du Djoudj, Sénégal (© IRD/C. Levêque).
C. niloticus a un régime alimentaire éclectique qui varie au cours de la vie de l’animal, mais les gros adultes sont de redoutables prédateurs qui n’hésitent pas à s’attaquer aux antilopes, aux zèbres voire même aux buffles. Qui n’a pas vu les célèbres documentaires montrant le festin des crocodiles de la rivière Mara (Tanzanie) lorsque gnous et zèbres la traverse pour atteindre des pâturages plus accueillants. Les femelles pondent 40 à 60 œufs dans le sol de la berge et garde le nid. Lorsque les jeunes éclosent au bout d’environ trois mois, la femelles ouvre le nid et transporte les nouveaux nés vers l’eau. Les jeunes, dont un faible pourcentage survit, restent plus ou moins ensemble durant environ deux années. L’espèce est répandue dans toute l’Afrique tropicale.
Il existe deux autres espèces de crocodiles : Mecistops cataphractus ou faux gavial et Osteolaemus tetraspis ou crocodile nain.
M. cataphractus (figure 8), qui appartenait auparavant au genre Crocodylus, possède museau plus allongé que C. niloticus. Cette particularité lui vaut d’être souvent appelé « faux gavial » par analogie avec son cousin asiatique. Il peut atteindre 4 mètres de long, mais la plupart des individus mesurent en moyenne 2,5 mètres. Il est réputé se nourrir principalement de poissons, mais il lui arrive de consommer des invertébrés aquatiques. Les plus gros individus peuvent également se nourrir de plus grosses proies, si l’occasion se présente. Il vit surtout dans les rivières ayant un important couvert végétal, mais on le trouve aussi dans certains grands lacs. La femelle pond une vingtaine d’assez gros œufs dans un nid constitué d’un amas de détritus végétaux. Par rapport aux autres crocodiles, l’incubation des œufs est longue et dure près de quatre mois. On le rencontre en Afrique occidentale et centrale (figure 10). À noter enfin, qu’il est la seule espèce de crocodile présente sur l’île de Bioko (ex Fernando Po).
Figure 8. Faux-gavial, Mecistops cataphractus, rivière Mambili, réserve d’Odzala, République du Congo (© Sébastien Lavoué).
Osteolaemus tetraspis (figure 9) est un animal solitaire, lent et placide qui reste à couvert durant la journée. Il sort de sa cachette la nuit pour se nourrir de poissons et d’amphibiens. De petite taille, il ne dépasse pas 2 mètres de longueur et vit, sous le couvert forestier, dans des petits ruisseaux à court lent ou dans des marais. Il se nourrit essentiellement de poissons, mais consomment également des crustacés ou d’autres invertébrés aquatiques ou terrestres lorsque les poissons se font rares. La femelle pond généralement un peu moins de 20 œufs qui éclosent environ trois mois plus tard. Comme M. cataphractus, on le rencontre en Afrique occidentale et centrale (figure 10). Dans certaines zones, cette espèce est assez menacée, non à cause de sa peau qui est de faible qualité, mais en raison de l’altération de son habitat.
Figure 9. Crocodile nain, Osteolemus tetraspis (© Aquarium tropical de la Porte Dorée / Déodat Manchon).
Figure 10. Répartition géographique des espèces de crocodiles rencontrées en Afrique.
Paroles de pêcheurs sénégalais : Le crocodile In : Adrian Adams-Sow, 1996. Poissons et pêches du fleuve Sénégal, Sénégal Diabé Sow: Quand vient la saison sèche chaude, les crocodiles pondent leurs œufs. La femelle du crocodile ne pond pas dans l'eau, hein ! Elle pond sur la terre sèche. Elle creuse un grand trou où elle dépose ses œufs, puis elle les recouvre de terre. Quand elle s'en va, elle prend soin de ne pas laisser de traces qui montrent qu'un crocodile est passé par là. Elle marche dressée sur ses pattes, et efface l'empreinte de ses pattes avec sa queue, pour qu'on ne sache pas où elle a pondu. Mais les gens malins arrivent quand même à repérer les lieux de ponte. S'ils vont y creuser, ils trouvent parfois jusqu'à vingt kilos d'œufs. Les œufs que personne ne déterre, éclosent la nuit. Kalidou Harouna Mbodj: Le crocodile pond ses œufs sur la terre sèche; quand ils sont arrivés à terme, il sort de l'eau pour aller les faire éclore. Il connaît la date de ponte et la date d'éclosion; il a ce calcul en tête. Moussa Dia: C'est en saison sèche, sept mois après la fin de la saison des pluies, que le crocodile enterre ses œufs. Ils passent la saison des pluies sous terre, et éclosent à sa fin. Diabé Sow: Une fois les œufs éclos, la mère prend les petits sur son dos, et descend avec eux jusqu'au fleuve. Parfois elle en oublie en brousse. Ceux-là, s'ils survivent, deviendront des crocodiles dangereux. Samba Mamadou Ba: Quand le crocodile a vu éclore ses œufs, il suit les petits. Ceux auxquels il coupe la queue, deviendront des crocodiles dangereux, ce qu'on appelle des crocodiles tueurs. Diabé Sow: La mère met les petits qu'elle emmène jusqu'au fleuve, auprès d'un trou profond. Lorsqu'elle prend un poisson, elle le coupe en morceaux; les petits en mangent jusqu'à ce qu'ils aient l'âge de se nourrir eux-mêmes. Samba Mamadou Ba: Comment peut-on connaître l'âge d'un crocodile ? Chaque année, le crocodile avale un caillou. Si tu lui ouvres le ventre et y trouves quatre cailloux, il a vécu quatre ans. Si tu y trouves six cailloux, il a vécu six ans. Si tu y trouves cent cailloux, il a vécu cent ans. Diabé Sow: À l'époque de la première pêche dans les mares, les gros crocodiles mâles quittent les mares la nuit, pour aller au fleuve. Djibi Bilan Konaté: Muusan-xaare est une grande mare très profonde, où il y a beaucoup de crocodiles. Il faut en chasser les crocodiles, pour que les gens puissent venir y pêcher. Au moment où nous entrons dans la mare, on ne voit plus un seul crocodile : ils sont couchés dans la vase au fond de l'eau. Une fois que nous avons encerclé la mare, ils commencent à fuir. Certains s'échappent, d'autres sont pris dans les filets. Ceux qui sont pris dans les filets, meurent. Ceux qui s'échappent de la mare, nous les poursuivons. Diabé Sow: Les jeunes gens courageux du village s'en vont en brousse avec des fusils. Ils rencontrent les crocodiles qui viennent des mares et s'en vont vers le fleuve. Lorsqu'ils veulent tenir tête à un gros crocodile, ils coupent un gourdin pour l'attaquer. Si un crocodile les poursuit, ils lui lancent le gourdin. Le crocodile le happe dans sa gueule et y plante les dents en fermant les yeux. Alors les jeunes s'approchent et l'égorgent. Moi-même j'ai fait cela à Gorolu, une mare qui est sur la rive droite du fleuve. Un crocodile nous a poursuivis à Gorolu, nous n'avons pas réussi à le tuer, il est descendu vers le fleuve. En remontant vers la mare nous avons rencontré un autre crocodile. Quand nous nous sommes trouvés face à face, il s'est dressé en nous fixant de ses yeux qui brillaient comme des torches. Il voulait nous attaquer, il a couru vers nous ; ceux qui étaient le plus près de lui ont lancé un gourdin. Il a happé le gourdin et l'a mordu en rugissant. C'est alors que nous avons tiré sur lui. Il serrait si fort le gourdin entre ses dents, que même mort il n'a pas lâché prise. Nous avons coupé des bois de la longueur voulue. Nous en avons mis un sous sa tête, un sous ses pattes de devant, un sous son ventre, un sous ses pattes de derrière, un sous sa queue. Nous nous sommes mis à deux par bois pour le soulever et le descendre jusqu'au fleuve. Nous l'avons mis dans une pirogue, et nous avons traversé le fleuve pour rentrer à Manael. Quand le niveau du fleuve baissait, c'était la saison des chasseurs de crocodiles. Il y avait des suballu qui ne prenaient que des crocodiles. Samba Mamadou Ba: Vous me demandez les différentes manières de chasser le crocodile. Il y en a trois. Une manière, c'est de prendre une torche et d'entrer dans un trou où se trouvent des crocodiles. Kalidou Harouna Mbodj: Une fois que tu es entré avec la torche, tu vois les crocodiles. Certains les comptent même. Tu les entends dire: Il y a cinq crocodiles de ce côté-ci, dix crocodiles de ce côté-là, deux par ici, trois par là. Puis ils sortent. Quand ils sortent, certains tendent un filet cambal à l'entrée du trou. Ensuite, vous creusez un trou à côté, vous allez chercher du bois vert et vous y mettez le feu. Une fois le bois vert allumé, il dégage forcément beaucoup de fumée. La fumée pénètre dans le trou où se trouvent les crocodiles. Si tu es dans une chambre pleine de fumée, la fumée va tellement te gêner que tu feras tout pour sortir. Quand les crocodiles sortent en courant du trou, sans se rendre compte qu'il y a un obstacle devant eux, ils sont pris dans le cambal. Nous tuons les crocodiles ainsi. Demba Sy: Il y a un hameçon qu'on appelle hameçon à crocodile. S'il le happe, il passera toute la nuit à lutter avec; le matin tu trouveras le bâton à l'autre bout de la ligne qui flotte au milieu du fleuve. On utilise un appât ; on met l’hameçon dans un poisson. Samba Mamadou Ba: Ce sont deux hameçons, deux gros hameçons qu'on attache ensemble. Kalidou Harouna Mbodj: Ce sont trois hameçons qu'on attache ensemble de façon à ce que leurs pointes divergent. Demba Sy: Pour préparer le piège, tu plantes le bâton au bord de l'eau; tu attaches l'hameçon à l'appât, et tu le poses sur l'eau. Tu ne l'enfonces pas dans l'eau, hein ! Tu le laisses flotter à la surface. Où que soit le crocodile, il voit l'appât. Il vient le prendre ; le bâton suit. Le matin, tu pars à sa recherche. Quand tu le vois, tu le saisis, tu luttes avec le crocodile. Tu luttes avec, tu le tues, tu le mets dans ta pirogue et tu t'en vas avec. C'est simple. C'est très simple. Il n'y a pas de saalaali ni de waalaali, pas de formules magiques. Tu le tues avec un harpon. Avec quoi d'autre vas-tu le tuer ? Samba Mamadou Ba: La troisième méthode consiste à prendre un pagayeur et partir en pirogue sur le fleuve, avec une lampe et un harpon. Tu parcours le fleuve jusqu'à ce que ta lampe accroche les yeux d'un crocodile. Kalidou Harouna Mbodj: Le crocodile a quatre yeux, deux pour le jour et deux pour la nuit. Quand la lampe accroche les yeux de nuit du crocodile, ils brillent d'un rouge vif; tu t'approches de lui et tu le transperces avec ton harpon. Quand tu transperces le crocodile avec un harpon, certains le tuent à l'aide de connaissances secrètes; certains le tuent tout court. Samba Mamadou Ba: Si tu n'arrives pas à le tuer tout de suite, tu peux attacher le bout du fil du harpon à une gourde ou une calebasse; laisse le crocodile partir avec, et rentre chez toi. Le lendemain, tu pars à sa recherche. Du moment que l'eau a pénétré dans la blessure faite par le harpon, il va mourir. Tu le prends dans ta pirogue et tu t'en vas avec. On tue les crocodiles avec le filet cambal, avec l’hameçon, avec le harpon. Mais c'est avec le cambal qu'on le tue le plus vite. Si sa tête est prise dans le cambal, il se débat avec sa queue, croyant se libérer; au contraire, sa queue aussi se prend dans le cambal. Finalement il meurt noyé. On n'égorge pas un crocodile de la même manière qu'un mouton. Un mouton, on le couche par terre et on l'égorge. Alors qu'un crocodile, on lui tranche la nuque. Je suis moi-même chasseur de crocodile : quand on attrape un crocodile, on lui tranche la nuque. Si tu l'égorges comme un mouton, il ne meurt pas. Kalidou Harouna Mbodj: On tue le crocodile avec le grand filet. On le tue avec le cambal. On le tue avec le doolinnge. On le tue avec le siidooli. Samba Mamadou Ba: Quand le fleuve est en crue, il y a un genre de crocodile qui se tient à l'embouchure des marigots, qu'on appelle crocodile tueur. C'est à dire qu'il ne mange pas de poisson. Il reste à l'affût à l'embouchure des marigots. Ce qu'il mange, c'est les êtres humains. Quand il voit une personne, il l'attaque. Il attaque les petits animaux de brousse, il attaque les ânes, il attaque les phacochères. Il attaque les bœufs et les chèvres. Celui-là ne mange que de la viande. On l'appelle crocodile tueur. C'est un chasseur; il ne mange pas le poisson. Il y a aussi ce qu'on appelle crocodile tout court; ce sont tous des crocodiles, mais ils diffèrent les uns des autres. Cet autre crocodile ne mange que du poisson. Il n'attaque pas les gens, il ne mange pas la viande. Ce crocodile-là, si on le tue, on le mange. Mais tout crocodile dont on sait qu'il est mangeur de viande, même si on le tue, on ne le mangera pas. Comme je vous l'ai déjà dit, ce sont les petits à qui leur mère a coupé la queue, qui deviennent crocodiles tueurs. Ceux qui n'ont pas eu la queue coupée, ne mangent que du poisson. Diabé Sow: On attrape de petits crocodiles, des jeunes qui pèsent cent ou cent dix kilos. Ceux-là, on mange leur chair. Mais on tue aussi de gros crocodiles, qu'il faut être nombreux à monter sur la berge. Ceux-là, on ne les mange pas ! Les entrailles du crocodile appartiennent à celui qui l'a tué. Il ne les ouvre pas devant les gens, mais en brousse, et seul. On trouve parfois dans les entrailles des boucles d'oreille en or ou des bracelets. Samba Mamadou Ba: Si tu ne vas pas en brousse pour ouvrir les entrailles du crocodile, si tu en sors de l'argent ou de l'or, quelqu'un peut dire que c'est à lui, que ce crocodile a tué un des siens, alors que ce n'est pas vrai. C'est pour cela qu'on ouvre le ventre du crocodile en brousse. On ouvre le ventre, on ouvre l'estomac. Si en ouvrant l'estomac on trouve de l'or, c'est le chasseur seul qui l'a vu, et personne d'autre. Moussa Dia: Disons qu'il y a ici une fosse profonde, où se trouve un crocodile tueur. Quand un crocodile devient tueur, il surveille le fleuve aux abords de sept villages. Si tu descends là où se trouve un crocodile tueur, dès que tu touches l'eau, tchalap, il happe ton ombre. Il te surveillera sans relâche. Tôt ou tard, tu descendras. A ce moment-là - on dit que le crocodile attaque avec sa queue. Non. Le crocodile qui attaque une personne, prend appui sur sa queue plantée au sol pour te frapper et t'abattre. Quand tu remontes à la surface, il s'empare de toi et plonge avec toi sous l'eau. Avant de dévorer quelqu'un, il le montre aux gens. En le sortant de l'eau, il dit tchouboukh. A propos du fiirin-fira: S'il y a un crocodile tueur à tel endroit du fleuve, les gens de quinze villages de Suballu vont se réunir. Chaque village amène ses jeunes filles dans une pirogue, ses jeunes hommes dans une autre, puis une pirogue de harponneurs et une autre de joueurs de tam-tam: tous après un seul crocodile. Quand tous sont réunis, tel jour à telle heure, ils sortent sur le fleuve. Ils se dispersent alors. Celui qui a dix pirogues les met par ici, celui qui en a quinze pirogues les met par là. Ils se disposent autour de la fosse d'eau profonde; ils surveillent tous le même endroit. Quand le crocodile remonte du fond de l'eau, ses narines envoient des bulles à la surface. Si tu t'y connais, dès que tu vois apparaître ces bulles, tu siffles pour avertir ceux qui sont derrière toi. Il y a deux manières différentes de siffler le pagayeur. Une manière de siffler veut dire : 'Oui'. L'autre manière indique qu'on a aperçu des bulles à tel endroit. Tu dis : ‘Par là, oui, vas-y’. Tu y vas tout doucement : un coup de pagaïe, arrêt, un coup de pagaïe. Quand tu approches de l'endroit, tu dis: ‘Arrête’. La pirogue s'arrête. Toutes les autres pirogues ont les yeux fixés sur toi: toi seul. Quand le crocodile sort: ‘Est-il sorti? Le voilà, le voilà !’ Alors chacun lance son harpon. Mettons que c'est toi qui l'as harponné. Une fois que ton harpon l'a touché, il s'en va comme une femme s'en va quand elle s'est disputée avec son mari. Nous tous le suivons : cent pirogues, deux cent pirogues. Nous le laissons partir, nous le suivons ; arrivés à sa hauteur, nous lui faisons rebrousser chemin. Sur le chemin du retour, chacun dit tout ce qu'il sait. Tout : les jeunes filles chantent, toutes les paroles secrètes sont prononcées. À ce moment, c'est des saalaali à n'en plus finir. Lui est devant, nous sommes derrière, comme quand on tue un lion en brousse. Lui est devant, et nous derrière. On prononce des saalaali : ‘Ton père a fait ceci...’ Saalaali Mahamed waalaali Mahamed et ainsi de suite, on n'entend que cela. Après cela, on retourne à l'endroit où on s'est rassemblés. On reste là-bas pendant trois jours. Après trois jours, on fait sortir le crocodile du fleuve, et on le tue. On n'ouvre l'estomac qu'en présence du commandant et du gouverneur. On y trouve de tout: de l'or, de l'argent. On divise l'or en trois parts : une part pour celui dont le harpon a tué le crocodile, une part pour le chef de village, une part pour le commandant. Puis c'est fini; les gens se séparent, chacun rentre chez soi. N.B. : tous les termes n’ayant pas d’équivalent en français sont soulignés et figurent dans le texte dans la langue du locuteur. |
Paroles de pêcheurs sénégalais : Le crocodile In : Adrian Adams-Sow, 1996. Poissons et pêches du fleuve Sénégal, Sénégal Kalidou Harouna Mbodj: J'ai connu un homme qui s'appelait Mamadou Fall, j'étais son pagayeur en ce temps-là. Il a tué un crocodile qu'on appelait Lion. Quand il l'a tué, il lui a ouvert le ventre. Il y a trouvé cent dix cornes: des cornes de boeuf, des cornes de chèvre, des cornes de mouton. Ce Mamadou Fall habitait Dembankané, où il a tué de nombreux crocodiles. Il a quitté Dembankané pour se rendre à Samba-Dramané. Il est arrivé à un trou où il a trouvé un gros crocodile mâle; il l'a tué. Ensuite, dans un autre trou, il a trouvé un petit crocodile. Il faut dire que de tout ce qu'on trouve dans le fleuve, le crocodile est le pire. Qu'est ce qui rend le crocodile si dangereux? C'est que ce n'est pas une créature ordinaire. Le petit crocodile lui a dit: C'est toi qui t'appelles Mamadou Fall? Il a dit que oui, il s'appelle Mamadou Fall. Le petit crocodile lui a dit: J'ai entendu que tu es un tueur de crocodiles, mais ce sera ta dernière fois. Mamadou Fall lui a dit: Toi, crocodile, tu es très insolent. Bon gré ou mal gré, tu vas mourir. Le crocodile a dit: Je n'ai pas dit que je ne vais pas mourir. Tu vas me tuer, mais aujourd'hui même, d'ici à la prière de allaasaraa, tu en verras le résultat. Il a tué le crocodile; il est rentré au village. Une fois arrivé au village, avant la prière de allaasaraa, il est tombé malade. Vers deux heures de la nuit, il a quitté ce monde. Il était alors en compagnie d'un captif qui s'appelait Mamadou Baldi. Quand il est mort, Mamadou Baïdi a emporté ses bagages dans son pays. Nous autres pêcheurs, nous tuons toutes sortes de poissons; mais c'est le crocodile qui a les pouvoirs les plus dangereux. |
L'histoire de Samba Kopor In : Adrian Adams-Sow, 1996. Poissons et pêches du fleuve Sénégal, Sénégal Guéladio Sibi: Samba Kopor est un crocodile dont tout le monde a entendu parler. De son temps, les gens n'osaient même pas descendre prendre de l'eau au fleuve. Par peur de Samba, les enfants nés à l'époque de Samba, nos grands-parents, n'ont jamais appris à nager. Dès que tu approchais de l'eau, il te happait. Des bords du Njorlou jusqu'au marigot de Bofali, si tu descendais au fleuve, d'ici cinq minutes il attaquait. Il a barré tout le fleuve. De Dembankané jusqu'à Yérouma, de Dembankané jusqu'à Gandé, c'est Samba qui régnait sur cette partie du fleuve. Même un suballe dans sa pirogue, Samba le faisait tomber de la pirogue pour descendre avec lui au fond de l'eau. Samba Kopor n'était pas un crocodile ordinaire. Il pouvait se métamorphoser comme il voulait. Il pouvait même se transformer en être humain, et se joindre aux gens sous l'apparence d'une belle jeune fille. Tout le monde la prenait pour une personne. Mais ce n'était pas une personne. Si tu tombais amoureux d'elle, si tu la suivais, c'en était fini de toi. Du moment que Samba t'emportait, c'était fini. Or mon propre grand-père, qu'on appelait Siliman Asata, qui se trouvait alors au Congo, s'est vu en rêve une nuit tuer Samba Kopor. Quand Dieu l'a ramené du Congo, il l'a dit à ses parents. Ah! Ses parents lui ont dit: Siliman, ce sera très difficile de tuer ce crocodile-là; fais attention! Il a répondu: Dieu a voulu que je m'en charge. Siliman a choisi lui-même le fer qu'il veut, et l'a confié au forgeron. Le forgeron lui a préparé des balles. Il a chargé son fusil, et a pris un chien mort qu'il a posé au bord de l'eau, juste en dessous des premières maisons de l'est du village. Il a mis le chien au bord de l'eau, puis il est monté en haut de la berge avec son fusil, pour attendre le crocodile. Quand Samba Kopor a vu le chien au bord de l'eau, il s'est dirigé tout doucement vers lui. Dès qu'il a fendu l'eau, Siliman l'a vu. Il l'a vu, mais il est resté assis à attendre que le crocodile goûte à sa proie, avant de lui faire ce qu'il a à faire. Le crocodile approche, Siliman le regarde. Le crocodile approche, Siliman le regarde. Lorsqu'il est arrivé auprès du chien, que son museau a heurté la berge où le chien est couché, il a hissé sa tête et ses pattes de devant sur la bergetpour le prendre et l'emporter dans l'eau. C'est alors que Siliman a pris son fusil. La balle a frappé le crocodile à la tête, et lui a brisé l'os du cou. Il est retombé à l'eau. Siliman a alors posé son fusil pour courir se jeter aussi à l'eau. Il a plongé à la suite du crocodile. Siliman est resté longtemps sans sortir. Les gens ont dit: Siliman a été pris par le crocodile, Siliman est mort! Mais sous l'eau, Siliman observait le crocodile pour voir quel effet a eu la balle. Quand il a vu que le crocodile était près de mourir, Siliman est sorti de l'eau; il a crié aux gens en haut sur la berge de lui amener des cordes. Eh! C'était dur de trouver quelqu'un pour apporter ces cordes! Pour descendre rejoindre Siliman dans l'eau alors que Samba Kopor s'y trouve, il fallait un homme de valeur. Mais Siliman était un homme courageux, un homme de valeur. Fils d'Asata, de Ségé Makhan, de Yaya Makhan, de Konna Makhan, de Bayé Makhan, Siliman n'a pas l'ascendance de quelqu'un qui doit avoir peur. Siliman a tué le crocodile. Il lui a attaché une corde dont il a remis le bout aux gens d'en haut, en leur disant de tirer. Ils l'ont fait monter en haut, et l'ont mis sur la route principale de Dembankané. C'est une grande route, derrière le cimetière, où passent tous les voyageurs venant du Fouta ou du Gadiaga. Tout le monde l'a vu. Pour ce qui est de la longueur de Samba, certains disent trente mètres, et d'autres quarante. Pour ce qui est de la largeur, certains disent trois mètres, d'autres quatre. Personne ne peut tout raconter de l'histoire de Samba. Tout ce qu'on a trouvé dans le ventre de Samba de traces des gens qu'il a mangés, que ce soit or ou argent, tout était préservé dans son estomac. Ils ont tout sorti pour le montrer aux gens. |
3. Les lézards
La plupart des lézards ne sont pas des animaux aquatiques au sens strict, mais certaines espèces vivent près de l’eau et en dépendent.
C’est le cas notamment du varan du Nil (Varanus niloticus) (figure 11), espèce ubiquiste, qui est considéré comme semi-aquatique. Certains auteurs estiment qu’il existe une seconde espèce, V. ornatus qui remplace V. niloticus dans les régions forestières côtières d’Afrique occidentale et centrale. Pour d’autres, il ne s’agit que d’une sous-espèce de V. niloticus. Quoi qu’il en soit, les deux formes sont proches l’une de l’autre et possèdent la même écologie. Les varans sont de bons nageurs qui peuvent rester assez longtemps sous l’eau (plus d’une heure). Ils peuvent atteindre 2 m de long, les tailles record étant respectivement de 2,14 m au Tchad et 2,4 m en Afrique du Sud. Le varan du Nil se rencontre essentiellement en zone de savane, tandis que le varan orné fréquente les cours d’eau forestiers ou les mangroves. Les femelles pondent une quinzaine d’œufs dont l’incubation est très longue puisqu’elle dure u moins 6 mois.
Figure 11. Varan du Nil, Varanus niloticus, Murchison Falls National Park, Ouganda (© IRD/D. Paugy).
Les varans pondent une vingtaine d’œufs qu’ils déposent dans une termitière ou dans un terrier. Après six à neuf mois d’incubation, les jeunes éclosent au début de la saison des pluies et mesurent une vingtaine de centimètres. C’est un carnivore opportuniste qui se nourrit de poissons, de crustacés et de mollusques. À terre, il attrape des insectes et leurs larves, des mollusques, des reptiles (très amateur de d’œufs de crocodiles ou de leurs jeunes), des oiseaux et des mammifères. L’espèce est largement répandue dans l’Afrique tropicale.
Stratégie de chasse chez le varan du Nil Source : Encyclopedia of Life Une histoire vraie, où on relate une collaboration entre deux varans du Nil. Le premier commence à provoquer une femelle de crocodile du Nil entrain de surveiller son nid. Il la harcèle jusqu’à ce que cette dernière le poursuive jusque dans l’eau. Pendant ce temps, le second varan creuse le nid laissé sans surveillance et commence à avaler les œufs et les nouveaux nés du crocodile. Plus tard, son compère le rejoindra pour participer également au festin. Une observation identique a été faite à propos de deux comparses désirant voler des œufs d’oiseaux. |
Le varan orné, Varanus ornatus, vit dans les mangroves et les forêts galeries en zone guinéenne (figure 12).
Figure 12. Varan orné, Varanus ornatus,, Akonolinga, Cameroun (© IRD/J.-F. Trape).
Il existe également des petits lézards diurnes, les scinques aquatique à queue carénée, qui vivent à proximité immédiate des ruisseaux ou des mares dans la boue et la végétation plus ou moins submergée. À la moindre alerte ils plongent dans l’eau et nagent très bien sous la surface par ondulations latérales, les membres rabattus le long du corps. Ils appartiennent au genre Cophoscincus dont les quatre espèces se rencontrent en Afrique occidentale (figure 13). Il s’agit de petites espèces qui ne dépassent pas 70 mm de longueur. Leur régime alimentaire semble être à base d’arthropodes.
Figure 13. Trois espèces de scinques aquatiques, Cophoscincopus, couramment rencontrées à proximité des zones humides.
4. Les serpents
Comme les lézards ce sont des animaux essentiellement terrestres, dont certains sont plus ou moins spécialisés dans un mode de vie aquatique, et peuvent être observées dans l’eau. En Afrique, quatre espèces de colubridés du genre, Grayia (tableau II et figure 14), toutes présentes dans la zone concernées, sont aquatiques et se nourrissent essentiellement de poissons. Ces espèces ne sont pas venimeuses et les pêcheurs la prennent parfois dans leurs filets.
Tableau II. Répartition des quatre espèces de Grayia rencontrées en Afrique au nord de l’équateur (source : Chippaux, 2006).
Figure 14. Deux espèces de Grayia, Colubridés,) susceptibles d’être rencontrées dans la zone d’étude.
Quelques autres espèces de colubridés comme celles apprtenant aux genres Afronatrix (1 seule espèce présente en Afrique occidentale) et Hydraethiops (2 espèces présentes dans la zone concernée) se nourrissent également presqu’exclusivement de poissons, même s’il leur arrive d’avaler des batraciens. Enfin certain colubridés appartenant aux genres Natriceteres (5 espèces dont 3 dans la zone concernée) (figure 15), Psammophis, 3 espèces (Kelly et al., 2008), dont une seule est semi-aquatique dans la zone concernée (figure 16) et Gonionotophis (15 espèces dont 2 sont semi-aquatiques dans la zone concernée) (figure 17) sont, à des degrés divers, inféodées aux milieux aquatiques ou humides où abondent les batraciens dont ils se nourrissent de préférence. Il leur arrive cependant de consommer poissons et crustacés de temps à autre.
Figure 15. Deux espèces de Natriciteres, Colubridés, susceptibles d’être rencontrées dans la zone d’étude.
Figure 16. Dromophide rayé, Psammophis lineatus, Colubridé, est la seule espèce du genre qui ait des mœurs semi-aquatique, Djikoye, Sénégal (© J.-F. Trape).
Figure 17. Gonionophis granti, Colubridé, est une des deux espèces du genre qui fréquente les zones humides, Boromosi, Burkina Faso (© J.-F. Trape).
Il n’est pas rare également de capturer dans les filets de pêche des pythons de Séba (Python sebae) (figure 18). Ils ne sont pas toujours considérés comme aquatiques, mais ils sont néanmoins étroitement associés aux zones marécageuses et aux rivières, notamment lorsqu’elles sont bordées d’une forêt galerie. Le python de Séba est le plus grand serpent africain : sa longueur habituelle varie entre 3 à 5 mètres. Le maximum connu est de 9,80 mètres mais les spécimens atteignant 6 mètres de long sont devenus rares. Les plus gros spécimens peuvent dépasser les 100 kg.
Figure 18. Le python de Séba, Python sebae, est nocturne. Il nage très bien mais grimpe également aux arbres et est capable de se déplacer très rapidement. La morsure de ce serpent n'est pas venimeuse, Sénégal (© IRD/J.-F. Trape).
Le python royal (Python regius) est quant à lui plus petit (1,4 m au maximum) et moins inféodé aux milieux aquatiques (figure 19).
Figure 19. Le python royal, Python regius, a des mœurs aquatiques moins prononcé que son grand cousin le python de Séba. Il est également moins agressif et est souvent conservé comme « animal domestique » du fait de la beauté de sa robe, Ibel, Sénégal (© IRD/J.-F. Trape).
Si les serpents que nous venons de citer étaient pour la plupart inoffensifs pour l’homme, il en est quelques autres, particulièrement venimeux que l’on est susceptible de rencontrer près des rivières ou des lacs. Il n’est d’ailleurs pas rare de les observer nageant au moment de la montée des eaux. Parmi les Elapidae, il existe deux espèces de Boulengerina, toutes deux originaires d’Afrique centrale, qui sont strictement aquatiques et se nourrissent de poissons. Ces deux espèces de Boulengerina sont désormais incluses dans le genre Naja (Würster et al., 2007). La morsure de ces espèces est potentiellement mortelle. Naja melanoleuca (figure 20) vit aussi auprès des rivières ou des marais et est toujours étroitement associé aux collections d’eau pérennes. Il nage très bien et consomme volontiers des poissons et des batraciens, même s’il ne dédaigne pas les proies terrestres. Sa morsure est potentiellement mortelle. Les deux espèces de Pseudohaje qui vivent toutes deux dans la zone considérée, ne sont pas à proprement parler aquatiques. Elles sont à la fois arboricoles et semi-aquatiques et ont un régime alimentaire très éclectique même si elles ont une préférence pour les batraciens et les poissons.
Figure 20. Naja melanoleuca, dont la morsure est potentiellement mortelle, est la seule espèce du genre à être étroitement associée aux collections d’eau pérennes , Kindia, Guinée (© IRD/J.-F. Trape).
Les Viperidae n’ont pas, a priori, d’attirance particulière pour les milieux aquatiques. Il arrive cependant que la vipère heurtante (Bitis arientans) (figure 21), espèce de savane, nage d’un milieu vers un autre, mais il semble que ce soit essentiellement pour échapper à l’inondation. La vipère rhinocéros (Bitis nasicornis), espèce forestière, aime les zones humides de forêt primaire. Il lui arrive de consommer des poissons mais sa préférence va néanmoins aux batraciens et aux rongeurs. Les Bitis possèdent des crochets très longs pouvant, chez les plus gros spécimens, mesurer 5 centimètres de long (figure 21). Elles peuvent donc injecter très profondément plus de 5 ml de venin à chaque morsure, ce qui la rend d’autant plus dangereuse. Heureusement, il existe un sérum anti-venimeux pour ces espèces. Mentionnons enfin Causus maculatus, de petite taille et la moins dangereuse des vipères, qui a une préférence marquée pour les milieux humides, y compris les zones d’arrosage et d’irrigation, et qui se nourrit presque exclusivement de batraciens.
Figure 21. La vipère heurtante, Bitis arientans, ne fréquente pas le milieu aquatique à proprement parlé, mais comme elle est bonne nageuse il lui arrive de passer d’un milieu à un autre, notamment lorsqu’il s’agit de fuir la crue. À gauche : une Bitis prise dans un filet maillant (© 4028mdk09). À droite : ce serpent, très venimeux, possède des crochets pouvant dépasser 4cm de longueur. On voit à leurs extrémités les gouttes de venin. La morsure est mortelle et les complications locales sont souvent très importantes (© IRD/J.-F. Trape).
Pour en savoir plus
Chippaux J.-P., 2001. Les serpents d’Afrique occidentale et centrale. IRD Éditions, Collection Faune et Flore tropicales, 35, 292 p.
Chirio L. & Lebreton M., 2007. Atlas des reptiles du Cameroun. Publications Scientifiques du Muséum, Paris et IRD Éditions, Marseille, 686 p.
Pianka E.R., King D.R. & King R.A., 2004. Varanoid lizards of the world. Indiana University Press, Bloomington, USA, 640 p.
Trape J.-F. & Mané Y., 2006. Guide des serpents d’Afrique occidentale. Savane et désert. IRD Éditions, 226 p.
Trape J.-F., Trape S. & Chirio L., 2012. Lézards, crocodiles et tortues d’Afrique occidentale et du Sahara. IRD Éditions, 503 p.