Le bassin du Niger et le delta central
Le bassin du Niger
Avec le Congo, le Nil et le Zambèze, le Niger fait partie des grands fleuves africains. Depuis la forêt tropicale guinéenne jusqu’à son embouchure atlantique, en passant par le désert saharien, cet immense cours d’eau fait une large boucle et subit l’influence de plusieurs climats d’autant que de très nombreux affluents le rejoignent tout au long de son parcours. Un peu à l’image du Nil, le Niger prend sa source dans des régions montagneuses arrosées avant d’entamer sa « traversée du désert » où il perd une grande partie de son eau. Cette phase d’épuisement et de retard d’écoulement est due notamment aux errances que le fleuve a dans son delta intérieur, zone inondable orientée selon un axe sud-ouest nord-est d’environ 50 000 km2. Dans cette région centrale, le Niger a longtemps été le pourvoyeur de ressources, notamment halieutiques, au point qu’un certain nombre d’ethnies, telles les bozo, étaient uniquement spécialisées dans l’activité de pêche. Malheureusement, l’utilisation excessive d’engins modernes auxquels se surajoutent de nombreuses crues déficitaires a contribué au déclin important de la ressource et les captures de poissons frais sont désormais trop souvent dérisoires.
Pourquoi le nom de Niger
>L'étymologie du nom du fleuve est incertaine. Il est tentant de faire du latin Niger (« noir ») l'étymon du fleuve. Mais, si tel était le cas, les Portugais, premiers explorateurs et colonisateurs des côtes africaines, auraient laissé un Rio Negro (comme ils l'ont fait ailleurs, au Brésil, par exemple) en utilisant leur propre langue dans les cartes diffusées. De plus, les eaux du fleuve ne sont pas noires (ce qui explique le plus souvent l'appellation de rio negro). La tentation d'explication suivante serait de dire que le fleuve a été nommé ainsi pour le désigner comme le « fleuve des Noirs ». Elle ne semble pas tenir non plus car aucune autre rivière africaine, asiatique ou américaine n'a pris le nom de la couleur des populations qui en habitent les rives. L'explication la plus probable est que les Portugais aient adopté le nom local du fleuve. Si l'on retient cette hypothèse, l'étymologie la plus probable, est le touareg gher n gheren (« fleuve des fleuves ») abrégé en ngher et en usage le long des rives à Tombouctou. D’ailleurs, en Afrique de l’Ouest, d’autres langues locales lui donnent des noms dont la signification « grande rivière » est assez équivalente : Joliba en Mandingue, Issa Beri en Songhaï et Orimiri en Igbo. |
Le Niger est un fleuve très long qui s’écoule sur près de 4 200 km entre sa source en Guinée et son embouchure au Nigeria. C’est le troisième fleuve d’Afrique après le Nil et le Congo.
Le fleuve traverse quatre pays (Guinée, Mali, Niger et Nigéria) mais son bassin versant, avec ses affluents, concerne à des degrés divers d’autres pays (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Bénin, Tchad et Cameroun) (figure 1).
1. Le bassin hydrographique
Le Niger prend sa source à 800 mètres d'altitude au pied du mont Loma, sur le versant sud du Fouta-Djalon, une région de hauts-plateaux en Guinée. Il coule d’abord en direction du nord-est et franchit les barres de grès du plateau Mandingue par les rapides de Sotuba au niveau de Bamako, avant de se répandre dans un vaste delta intérieur (parfois appelé le Macina) de plus de 40 000 km2. Là il se ramifie en une multitude de bras et alimente des lacs peu profonds (Debo, Faguibine, etc). Puis, à la sortie de cette zone d’inondation aux environs de Tombouctou, le fleuve décrit une large courbe et prend la direction sud-sud est. Il franchit plusieurs seuils rocheux, Ansongo et Labbezenga, avant de pénétrer au Niger, où son lit, relativement étroit, est parsemé d'îles. En aval de Niamey, des affleurements de roches dures l'obligent à se tailler un passage étroit, qui prend une forme de W. Il se jette enfin, au Nigeria, dans le golfe de Guinée formant un immense et complexe delta maritime de 30 000 km2.
Ses principaux affluents sont, en rive droite, le Sankarani, le Tinkisso et le Bani le rejoignent en amont du delta intérieur. Enfin, beaucoup plus en aval, sur la rive gauche, la Bénoué qui prend sa source au Cameroun constitue de dernier gros affluent du grand fleuve. Il existe également de larges vallées fossiles qui rejoignent le Niger au niveau de la grande boucle. C’est pourquoi on peut, dans une certaine mesure, considérer que l’Algérie peut être rattachée au bassin du Niger.
Le bassin versant du Niger peut ainsi être subdivisés en cinq grandes régions : le Niger supérieur, le delta intérieur, le Niger moyen entre le delta intérieur et le confluent avec la Bénoué, le Niger inférieur avec le bassin de la Bénoué, et le delta maritime (figure 1).
Figure 1. Le bassin versant du Niger occupe une surface très importante en Afrique de l’Ouest. Il prend sa source dans la dorsale guinéenne à une latitude d’environ 800 mètres. Compte tenu de sa longueur, la pente moyenne est de 0,02%, d’où la lenteur de son écoulement global. C’est pour cette raison qu’il est généralement considéré comme un fleuve docile. Malgré cela, lors de fortes et longues périodes de pluie, il lui arrive des crues dévastatrices. Celles-ci, qui peuvent être un danger pour les populations riveraines, concernent le plus souvent les petits bassins versants. (modifié d’après Ferry et al., 2012).
La superficie du bassin versant du Niger varie entre 1 500 000 km2 et 2 000 000 km2, selon que l’on prenne en compte on non les grands espaces sahéliens au nord du bassin dans lesquels existe un réseau de rivières fossiles (l’Azaouagh issu du Hoggar).
2. Des crues attendues mais irrégulières
On pourrait dire qu’à l’image du Nil et de l’Égypte, la crue du Niger est impatiemment attendue, apportant l’eau bienfaisante qui rythme la vie des populations riveraines.
Le régime du fleuve Niger est de type tropical, caractérisé par une forte variabilité, avec une unique crue annuelle limitée à quelques semaines encadrée des étiages prononcés. Juste en amont du delta intérieur, par exemple, les débits minima moyens sont parfois de moins de 10 m3/s, alors que les maxima moyens sont de plus de 3 000 m3/s (figure 2).
Figure 2. Crue de type tropical telle qu’elle peut être observée à Mopti au Mali, juste en amont du delta intérieur du Niger. On note la très grande variabilité qui existe les valeurs de débit observées durant la crue et lors de l’étiage. Les moyennes obtenues ici résultent d’observations effectuées entre 1922 et 1990, soit 67 années (source UNH/GRDC).
Étant donné la longueur du fleuve et que les pluies sont surtout abondantes en amont du bassin, l’onde de crue met plusieurs mois pour se propager dans le fleuve. Ainsi, La moyenne des débits journaliers observés durant plus de 60 années montre que les pics de crue surviennent en moyenne vers la fin du mois de septembre à Kouroussa en Guinée et à Koulikoro au Mali. Puis le flot arrive à la mi-octobre à Mopti et après avoir traversé le delta intérieur à la mi-novembre à Diré. À Niamey, la crue se produit à partir d’octobre (en raison de l’apport de quelques affluents) et dure quelques mois pour atteindre son maximum en février. Ici, déjà, la crue est complexe et dépend de plusieurs systèmes qui se superposent en partie. Ensuite, l'hydrogramme change complètement de forme. À Malanville, la crue s'étale de la mi-août à la fin avril et présente deux maximums, le premier de la mi-août à la mi-octobre, correspondant à l'apport des affluents de rive droite, qui ont leurs hautes eaux en fin d'hivernage, et le second de la mi-décembre à la mi-avril, quand arrive la crue proprement dite du fleuve (figure 3). Figure 3. De l’amont vers l’aval, la crue se décale de plus en plus. Elle débute en septembre en amont et se décale d’environ 1,5 à 2 mois à la sortie du delta intérieur. Ensuite la crue est de plus en plus étalée et résulte de l’apport de plusieurs sous bassins qui s’ajoute à l’onde du fleuve principal. Les moyennes obtenues ici résultent d’observations effectuées entre 1922 et 1990, soit 67 années (source UNH / GRDC). 3. Variabilité interannuelle Comme beaucoup d’autres fleuves, le Niger présente une forte variabilité des débits annuels. Outre les précipitations locales et l’apport de quelques écoulements annexes, on peut considérer que l’écoulement du Niger moyen, y compris celui du delta intérieur, dépend essentiellement des bassins versants du Niger supérieur guinéen et malien. Les observations effectuées à Koulikoro (une soixantaine de kilomètres en aval de Bamako) sont donc très représentatives de ce que peuvent être la variabilité interannuelle (figure 4). Figure 4. Variabilité interannuelle du débit entre 1907 et 2010 à Koulikoro (Niger moyen). On note qu’il existe deux périodes de forte hydraulicité (en rouge : 1922-1936 et 1948-1969), une période de très faible hydraulicité (en jaune : 1982-1993) et des périodes intermédiaires (en orange) dont celle observée depuis 1994 (source Ferry et al., 2012). Pour illustrer les différentes échelles de la variabilité soudano-sahélienne, notamment interannuelle et inter-décennale, la série des débits maximums du fleuve Niger à Koulikoro constitue un bon témoignage sur le dernier siècle même si un artefact (la création d’un barrage à Sélingué) est intervenu à partir de 1982 (figure 4). En amont du delta, après avoir reçu un important affluent, le Bani, le débit moyen est de 7 000 m3/s, soit environ 3 fois plus qu’à Koulikoro situé plus de 500 km en amont. 4. Un fleuve longtemps méconnu Le Niger est longtemps resté une énigme pour les géographes. Les caravanes sahéliennes qui commerçaient avec l'Afrique du Nord depuis Tombouctou rapportaient que cette ville était irriguée par un grand fleuve. Il s’agissait de la seule information dont disposaient les géographes européens qui s’interrogeaient sur les sources et le tracé du fleuve. Dans son Histoire naturelle, Pline l'Ancien mentionne que « le fleuve Nigris sépare l'Afrique de l'Éthiopie ». Il parle en réalité de l’Afrique du Nord, alors province romaine, et de l’Afrique noire dénommée à cette époque Éthiopie. « Le Nigris a la même nature que le Nil ; il produit le roseau, le papyrus et les mêmes animaux ; la crue s'en fait aux mêmes époques ». Pline pense même que le Nil et le Niger étaient reliés entre eux (ndlr : ce qui a été une réalité à une certaine époque très éloignée). Au milieu du XIVème siècle, le voyageur et géographe arabe, Ibn Battûta, traverse le Sahara, longe le Niger qu'il croit, lui aussi, être le Nil, pour rejoindre Gao, et l'empire du Mali. Il remonte le fleuve jusque Tombouctou qu'il quitte en traversant le désert vers son Maroc natal. Un siècle plus tard, les explorateurs portugais qui veulent sécuriser la route des Indes, mentionnent le Niger sur leurs cartes mais considèrent qu’il n’était qu’un affluent du Sénégal. À la fin du XVIIIème siècle il apparaît de plus en plus que le Niger n’est pas le Nil ni le Sénégal. Les Anglais fondent en 1788, l'Association pour la promotion et la découverte des parties intérieures de l'Afrique (Association for Promoting the Discovery of the Interior Parts of Africa), dans le but de localiser la ville mythique de Tombouctou et les sources du Niger. L’Anglais Mungo Park descend en 1805 le fleuve sur 1 600 km de Bamako à Boussa afin de prouver qu’il coule vers l'océan Atlantique. Mais sa source demeure encore mystérieuse. En 1828, René Caillé est le premier Européen à revenir vivant de Tombouctou, ce qui lui vaut un prix de la part de la Société de géographie. Il fait part de ses découvertes dans son récit « Voyage à Tembouctou et à Djenné dans l'intérieur de l'Afrique », publié en 1830 (tome 1, tome 2, tome 3 et illustrations). Mais la source n’a toutefois été découverte qu’en 1879 par le Français Marius Moustier et le Suisse Josua Zweifel (figure 5).