Le Nil
Le bassin du Nil
Hérodote disait « L’Égypte est un don du Nil ». Pour les Romains c’était « Ou le Nil, ou rien ». Enfin les conquérants arabes proclamaient « l’Égypte est une ville de poussière avec un arbre vert ». C’est dire l’importance de ce fleuve depuis la nuit des temps.
On assimile généralement le Nil à un bienfait de la nature qui a permis, très tôt, l’essor de la civilisation égyptienne. Ce fut une veine vitale que l’on divinisa car annuellement il déposait, au moment de la crue, son limon fertile qui enrichissait la terre égyptienne qui est ainsi devenue grenier à blé de l’Antiquité.
Le Nil et le dieu Hâpy
Le rôle du fleuve est trop important dans l’Égypte ancienne, pour qu’il ne soit pas divinisé. C’est le dieu Hâpy qui personnifie le Nil, et plus spécialement l'inondation annuelle, dans la mythologie égyptienne. Il est représenté sous la forme d’un homme au corps vigoureux, mais avec une poitrine féminine et un ventre bedonnant, symboles de prospérité et de pouvoir nourricier. Il était coiffé d’une couronne de plantes aquatiques. C’est Hâpy, le père des dieux qui faisait jaillir les aliments de la terre et submergeait l’Égypte de ses dons. Tout comme le pays est divisé entre la Haute et la Basse Égypte, Hâpy est souvent représenté sous la forme de jumeaux qui, selon la légende, vivaient dans deux lieux cachés. Le premier Hap Reset, se situait sous la première cataracte du Nil, près d'Éléphantine. Il était rouge et couronné de papyrus. De là, il versait le contenu de deux jarres pour faire monter les eaux de Haute Égypte. Le second, Hap Mehet, avait élu domicile en Basse Égypte dans une caverne près de Memphis. Il était vert bleu, la tête ceinte de lotus, et approvisionnait le Delta en eau. La vie des Égyptiens dépendait beaucoup du niveau des crues : les crues trop faibles asséchaient les cultures, alors que les débordements excessifs provoquaient de grandes inondations. Pour s'attirer les bonnes grâces du dieu fleuve, les Égyptiens lui donnaient de grandes quantités d'offrandes. Sur le mur des temples, on le trouve souvent représenté, attablé devant des tables d'offrandes (figure 1). Figure 1. Hâpy est la personnification divine du Nil dans la mythologie égyptienne. Davantage qu'une simple allégorie du fleuve, Hâpy personnifie plus spécifiquement les phénomènes naturels qui lui étaient associés : la crue en pleine saison sèche et la fertilisation annuelle des sols, auxquelles les Égyptiens ne pouvaient attribuer d'explication rationnelle. Ses représentation étaient multiples mais toujours sous des traits d'un personnage aux formes androgynes. Si son corps est masculin, il n'en a pas moins deux mamelles qui assurent la prospérité aux Égyptiens. Cette statuette le représente devant une table d'offrandes (© Rama). |
Les Égyptiens anciens appelaient le Nil itéru signifiant la grande rivière. Le mot « Nil » vient du grec (Νεῖλος = Neilos), qui serait lui-même une transcription déformée du terme égyptien Na-eiore, pluriel de eior désignant le delta.
Avec 6 700 km il est le plus long fleuve d’Afrique et du monde, même si l’Amazone (6 500 km) possède un bassin versant nettement plus important (7 050 000 km2 pour l’Amazone, 3 250 000 km2 pour le Nil). En Afrique, le Congo (3 800 000 km2), même s’il est plus court, possède un bassin versant supérieur à celui du Nil.
1. Le Nil, une voie de communication
Le Nil était quasiment l'unique voie de communication en Égypte ancienne, aussi bien pour les marchandises que pour les hommes. Le Nil reliait les diverses parties du pays. Jusqu'au XIXème siècle, les déplacements par voie de terre étaient pratiquement inconnus. Il a ainsi permis au gouvernement central d'imposer son autorité sur tout l'espace géographique.
Pour se déplacer sur le Nil, les bateaux les plus anciens étaient des sortes de radeaux composés avec des bottes de tiges de papyrus liées entre elles. L'arrière du bateau est relevé tandis que l'avant repose à plat sur l'eau (figure 2). Ces embarcations primitives sont de petite taille, légères et ont un faible tirant d'eau pour permettre également la navigation sur les marais.
Figure 2. Bateau en papyrus de l’Egypte ancienne, Beni Hassan - Tombe de Khnoumhotep II (© Kurohito).
Les bateaux de grande dimension sont construits en bois, souvent importé du Liban, car l'Égypte est peu pourvue de ce matériau. Les peintures et les barques funéraires retrouvées montrent un grand degré de perfection des Égyptiens dans le domaine de la construction navale. Les grands bateaux pour transporter les pierres mesurent environ 30 mètres de longueur sur 15 mètres de large. Le mode de propulsion des grands bateaux se fait à l'aviron. De grands avirons de gouverne, à l'arrière, permettent aux timoniers, debout, de manœuvrer le bateau. Presque tous les grands bateaux sont également pourvus d'une voile, les vents dominants du nord permettent de remonter le fleuve à la voile.
Les Égyptiens ont-ils traversé l’Atlantique ?
Un explorateur norvégien, Thor Heyerdahl, entreprit en 1969 une expédition à bord d’une embarcation en papyrus qu’il avait baptisé Râ, (nom du dieu égyptien du soleil). L’équipage quitta Safi au Maroc pour traverser l’Atlantique et prouver ainsi que les navires en papyrus des anciens égyptiens étaient capables de traverser l’océan. Après 5000 km de traversée, le Ra Commença à se disloquer. Mais l’expédition Râ II (figure 3), entreprise l’année suivante à bord d’un autre radeau en papyrus construit en Égypte, parcourut les 6 100 km entre Safi et la Barbade après deux mois de mer en utilisant le courant des Canaries. Son expédition démontre, selon lui que les anciens Égyptiens auraient pu traverser l’atlantique et ainsi influencer les civilisations amérindiennes pré-colombiennes. Figure 3. Expédition Râ II de Thor Heyerdahl en 1970 : lors de cet exploit, il réussit à traverser l’Atlantique entre le Maroc (Safi) et la Barbade aux Caraïbes sur son bateau de papyrus inspiré des anciens Égyptiens (source : Kon-Tiki Museum Archive ; © Fabio Buonsanti). |
2. Description sommaire du bassin du Nil
Avant de se jeter dans la mer Méditerranée au nord du Caire, il traverse 11 pays. Avant d’arriver au Soudan, le trajet de ce grand fleuve est complexe puisqu’il nait de la rencontre de deux énormes affluents : le Nil-Blanc (Bahr-el-Abiad) et le Nil-Bleu (Bahr-el-Azrak) (figure 4).
Figure 4. Le bassin du Nil avec ses deux sources supposées, l’une au Rwanda, l’autre au Burundi.
La branche du Nil Blanc naît au Burundi ou au Ruanda, chaque pays revendiquant posséder la source du grand fleuve (voir le sous chapitre « Sources du Nil » dans le chapitre « Les lacs de la vallée du Rift »). Compte tenu de la complexité du système, il est difficile d’utiliser le terme de « source ». C’est pourquoi la « National Geographic Society » reconnaît traditionnellement deux sources du Nil, l'une au Burundi et l’autre au Ruanda. Après avoir pris le nom de Kagera, le cours d’eau traverse le lac Victoria d’où il s’échappe par les chutes Owen. Puis il, traverse le lac Kyoga en Ouganda et, rejoint l'extrémité septentrionale du lac Albert, à la frontière de la République démocratique du Congo, après un saut de plus de 40 mètres aux chutes Murchison. Il pénètre au Soudan, prend le nom de Bahr el-Gebel « mer des montagnes » puis prend celui de Bahr el-Ghazal « mer des gazelles » quand il s’étale sous la forme d’un immense marécage, le Sudd. En amont de Kotok (ancienne Fachoda), il devient Bahr el-Abiad ou « Nil blanc ». Près de la moitié de l'eau qui afflue dans le Sudd en aval se perd en évaporation et en déversement dans les vastes zones humides de cette région. Dans les marais du Sudd au Sud Soudan, les pertes en eau sont estimées à 5 milliards de m3.
La branche du Nil bleu et ses tributaires prennent leur source dans les montagnes éthiopiennes à une altitude de 2 000 à 3 000 mètres (le Nil bleu, proprement, dit jaillit du lac Tana en Éthiopie et tombe rapidement dans un canyon étroit de près de 400 kilomètres après une chute de près de 60 mètres à Tissisat), où le régime des pluies très irrégulier, génère des écoulements importants, mais saisonniers. Ces derniers constituent le principal apport d'eau du Nil, soit environ 85 % de son débit annuel. Ils sont à l’origine de la fameuse crue du Nil qui a rythmé la vie des Égyptiens pendant des millénaires. Le Bahr el-Azrak « Nil bleu » rejoint le Nil Blanc à Khartoum.
L’Atbara, dernier grand tributaire du Nil, se jette dans le fleuve environ 320 kilomètres en aval de Khartoum.
En aval de Khartoum, le cours du Nil est marqué par la présence de six cataractes qui sont des rapides dus à des encombrements rocheux dans le lit du fleuve. Elles rendent la navigation difficile et dangereuse.
Après avoir reçu l'Atbara, le Nil, coule en plein désert et ne reçoit plus aucun affluent d’importance. En aval du Caire il se divise de nombreux bras dont deux principaux, celui de Rosette et celui de Damiette, pour former un vaste delta marécageux avant de se jeter dans la Méditerranée..
Dans l'antiquité, la première cataracte du Nil qui se trouve immédiatement en amont d'Assouan était la frontière sud de l'Égypte. Régulée par le barrage d'Assouan, elle se présente désormais sous forme d'un chapelet d'île barrant le fleuve..
Le Nil procure à l’Egypte 97 % de ses ressources en eau et, à cet égard, les anciens Égyptiens appelaient la vallée du Nil, « les vergers d'Osiris ».
3. La crue du Nil
L’hydrologie du Nil est extraordinairement complexe, en raison de sa longueur et de la variété des zones climatiques qu’il traverse. Il était célèbre autrefois pour ses inondations saisonnières. La crue, chaque année, apportait l’eau nécessaire à l'irrigation des cultures au milieu des sables du désert, et déposait aussi les limons noirs fertilisants (le kemet), arrachés aux plateaux volcaniques de l'Éthiopie. Ce phénomène a imposé son rythme aux activités agricoles des Égyptiens dont le calendrier était calqué sur la crue qui apportait à la fois l’eau et le limon noir fertilisant.
Strabon définit le nilomètre
En 25 ou 24 av. J.-C., le géographe grec Strabon qui voyagea le long du Nil en Égypte, décrit ainsi la nilomètre « Le nilomètre est un puits construit en pierres bien équarries dans lequel sont faites des marques indiquant les crues du Nil, car l’eau dans le puits monte et s’abaisse avec celle du fleuve. [...] » (Strabon, Voyage en Égypte, XVII, 1. à propos du nilomètre de Syène). |
Tout au long du mois de juillet, les prêtres scrutaient les nilomètres (les ancêtres de nos échelles de crue.), qui étaient des puits avec escaliers communiquant avec le Nil et dont les parois portaient des graduations mesurant le niveau de l'inondation (figure 5 et encadré Strabon définit le nilomètre). À partir des nilomètres de Philae, de Kom Ombo, d‘Edfou et de l’île Eléphantine (intégrés au temple de Khnoum et de Satis), les prêtres annonçaient l'arrivée et l’importance de la crue. Grâce aux nilomètres, les scribes pouvaient alors estimer les récoltes : du niveau de crue dépendait le taux des impôts. Plus la crue était bonne (ni trop forte, ni trop faible), et plus les impôts étaient élevés en prévision des bonnes récoltes à venir.
Figure 5. Nilomètre : à gauche, temple de Kom Ombo (© Rémih) ; à droite détail intérieur où l’on voit bien les marques permettant d’évaluer la hauteur d’eau, île d’Éléphantine à Assouan (©Olaf Tausch).
La crue du Nil au Soudan et en Égypte résulte pour l’essentiel des fortes précipitations saisonnières sur les hauts plateaux d'Éthiopie qui accélèrent fortement le débit du Nil Bleu, du fleuve Atbara et de la rivière Sobat, affluents de rive droite du Nil. La Sobat est en crue de mai en novembre, avec un maximum en octobre-novembre. Le Nil bleu (à Khartoum) apporte un volume d'eau considérable de juillet à octobre. Ainsi de 100 m3/s en avril, son débit peut atteindre 5 800 m3/s à son maximum. Il fournit alors près de 70 % des eaux du fleuve. L'Atbara, quant à lui, est en crue de juin à août. Environ 85 % des eaux du Nil proviennent ainsi des hauts plateaux d'Éthiopie.
Le Nil blanc, issu de la réunion des émissaires des lacs Victoria et Albert, présente un régime plus régulier car la montée des eaux à la saison humide est en partie absorbée par les lacs et est tamponné par la présence du Sudd.
Le Nil bleu n’est pas la source géographique du Nil, avec ses 1 600 km il est deux fois et demie plus court que le Nil blanc. Mais il est sans aucun doute la source hydrologique du Grand Nil qui traverse le Sahara. Le Nil ne traverserait pas le désert sur près de 3 000 km sans les apports de ses affluents éthiopiens, et se perdrait dans les sables à l’image du Chari dans le lac Tchad.
Contrairement à d’autres fleuves, le Nil n'a pas une crue dévastatrice et subite. La montée des eaux est lente et régulière, de même que la décrue. L'explication est due au fait que les affluents qui provoquent la crue n'apportent pas leur maximum d'eau en même temps. Cela s'explique aussi par la longueur du fleuve et surtout par sa faible pente, 3,5 cm/km de la Sobat à Khartoum, 15 cm/km de Khartoum à Assouan, 7 cm/km d'Assouan au delta.
La lente décrue favorise également les dépôts alluviaux : les sables se déposent dès la Haute-Égypte et s'accumulent au fond du lit tandis que les particules limoneuses les plus fines parcourent davantage de distance et se déposent sur les champs inondés.
4. Les grands aménagements
Le Nil est un fleuve dont l’importance historique et stratégique est donc reconnue. Mais les ressources en eau sont limitées alors que la demande croit rapidement en raison de l’augmentation de la population, de l’urbanisation et du développement de l’agriculture et de l’industrialisation. Le débit moyen du Nil à Assouan est relativement faible : environ 2 800 m3/s à comparer au débit moyen du Congo (36 000 m3/s).
Les anciennes civilisations qui subissaient les sécheresses et des inondations, avaient mis au point des systèmes sophistiqués de gestion des eaux. Les problèmes aujourd’hui sont différents et plus complexes. L’équilibre entre la demande et l’approvisionnement en eau doit être mieux assuré et régularisé, et l’utilisation de l’eau doit être également plus efficace. L’Égypte, et les autres pays riverains du Nil se sont donc tournés vers d’autres technologies, notamment la construction de barrages destinés à stocker l’eau des crues pour la redistribuer en saison sèche. Le plus emblématique de ces ouvrages est le barrage d’Assouan dont on débat encore les avantages et les inconvénients. Parmi ces derniers, il est certain que les limons provenant de l’amont son piégés dans la retenue. De ce fait, même si l’eau est mieux redistribuée au cours de l’année, il est certain que la fertilisation par le Kemet est assez considérablement diminuée. Cette rétention des limons par la retenue peut, en plus devenir un problème préoccupant puisque certains spécialistes pessimistes estiment que le grand barrage sera totalement combler d’ici un siècle.
4.1. Le canal de Jonglei
Dans les années 70, l’Égypte et le Soudan avaient commencé à creuser le Canal Jonglei, destiné à récupérer une partie des eaux du Nil Blanc perdus chaque année dans les vastes marécages du Sudd. Un canal de 360 km devait relier le Bahr el Jebal au village de Jonglei près de la ville de Bor (figure 6).